La Tunisie vient d’enregistrer des victoires symboliques la semaine passée à Washington D.C. suite à la visite du Président de la République: d’abord des rencontres avec les plus hauts responsables Américains y compris le Président, le Vice-président, les Ministres des Affaires Etrangères, de la Défense, des Finances, du Commerce ainsi que les membres du Congrès. Ensuite, la publication d’un éditorial écrit conjointement par les deux Présidents (un fait rare) et publié dans le Washington Post. Enfin, la signature d’un MOU (Protocole d’Accord) qui élève la relation entre les deux Nations à un niveau plus stratégique, l’octroi du statut privilégié d’Allié Stratégique non membre de l’OTAN, et l’obtention quasi garantie d’une aide de $134M pour l’année fiscale 2016 (qui double l’aide de 2015) ainsi que d’un « Loan Guarantee » de $500M. Last but not least, une résolution a été introduite au Congrès Américain qui suggère le démarrage de discussions sur un accord de libre-échange entre les deux pays, ce qui serait un acquis important et relativement inattendu compte tenu du manque d’appétit que les Etats Unis ont pour des accords commerciaux bilatéraux (plutôt favorables au multilatéral).
Maintenant que la visite s’est terminée de façon très positive, le plus difficile reste à faire. Comment continuer à faire passer le message à cet allié désormais stratégique de la Tunisie, que notre pays doit être une priorité? Comment assurer le suivi avec un pays éloigné et dont nous ne maitrisons pas tout à fait la langue ni le système? Comment passer d’une relation conjoncturelle à une relation stratégique où les contacts, les échanges, la coopération avec les Américains se ferait de manière récurrente et non de manière ponctuelle ?
Certes, notre Ambassade à Washington joue amplement son rôle, et déploie d’énormes efforts pour que ces visites soient couronnées de succès. Mais l’équipe diplomatique doit être aidée davantage, à deux niveaux : le premier est de caractère institutionnel, par le biais de l’implantation, d’une unité conjointe du CEPEX, de la FIPA et de l’ONTT basée à New York ou à Washington qui démontrerait le sérieux de l’Etat Tunisien dans son intention de nouer des relations stratégiques avec les Etats Unis.
Le second se ferait à travers la création d’une « force d’influence » tunisienne qui serait issue du secteur privé et de la diaspora, avec une présence permanente aux Etats-Unis, et qui se chargerait de véhiculer les messages de la Tunisie, y compris sa société civile et son secteur privé, et cela avec ses propres méthodes, sa façon de convaincre et une couverture plus large de partenaires qui ne se limiteraient pas uniquement à l’Etat Américain et ses institutions, mais également aux « think tanks », aux medias, à toutes les composantes du secteur privé (entreprises, associations professionnelles, syndicats, chambres de commerce..) et de la société civile américaine.
Cette structure contribuerait non seulement à l’élargissement de notre champ d’action mais aiderait aussi à la mise en œuvre de nouvelles idées comme l’établissement d’un « business council » vraiment opérationnel, de « roadshows » économiques à travers les principales villes américaines, de relations au niveau des Etats (States), d’articles de presse et d’interventions dans les principaux medias, et surtout d’établissement de contacts personnels à tous les niveaux pour créer un réseau des Amis de la Tunisie qui pourrait influencer des décisions américaines en faveur de la Tunisie.
Il n’y a pas de substitut à ces relations personnelles, et celles-ci doivent être construites pour que la Tunisie vienne toujours à l’esprit lors, par exemple, de visites d’investisseurs (Trade missions), ou lorsque des fonds sont alloués à la région MENA qui pourraient bénéficier en priorité à notre pays, ou davantage de bourses pour nos étudiants, ou encore le choix de la Tunisie pour l’organisation de conférences internationales de calibre mondial comme celle de la Clinton Foundation ou du Global Entrepreneurship Summit. Les relations se construisent petit à petit et au fil du temps. C’est un travail de longue haleine qui requiert patience et doigté. C’est pour cela que je n’aime pas particulièrement utiliser le mot « lobbying » mais préfère parler d’influence (advocacy), et « d’éducation sur des problèmes communs » (education on common issues) pour qualifier ce que cette structure doit accomplir.
« Follow up », « leverage » et « persistence » sont les mots clés de cette nouvelle force d’influence. Nous ne devons pas dormir sur nos lauriers et penser que parce qu’on est en avance politiquement sur d’autres pays de la région que nos alliés vont automatiquement s’intéresser à nous. Il faut œuvrer en permanence pour construire une relation durable basée sur la confiance et qui se traduise par des flux commerciaux, d’investissement, des partenariats et non uniquement des aides.
Aujourd’hui, les principaux bénéficiaires de l’investissement, du partenariat et de l’aide économique américaine dans la région MENA sont des pays comme le Maroc, la Jordanie ou l’Egypte, certes pour des raisons géostratégiques, mais également et surtout parce que ces pays ont su mettre en place des organismes qui défendent et promeuvent leurs intérêts aux Etats Unis. Ce n’est pas un hasard mais bel et bien le fruit d’un travail sérieux et organisé que le Maroc bénéficie d’un statut de partenaire économique privilégié avec les Etats Unis, que la Jordanie figure dans tous les appels d’offre de USAID et MEPI dans la région (même ceux destinés uniquement aux pays du Printemps Arabe) ou que l’Egypte, malgré ses turbulences politiques, continue à recevoir l’attention, le soutien et l’investissement américains.
Au-delà des rencontres et des visites, c’est une relation à long terme que la Tunisie doit construire avec l’Etat fédéral américain, le Congrès, les « think tanks », les medias, le secteur privé et la société civile américaine. Pour réussir, cet effort doit être piloté aux Etats-Unis de façon centrale (probablement de Washington DC) mais implémenté de façon décentralisée en comptant sur les membres de la diaspora Tunisienne à travers les Etats Unis. Car l’investissement et les relations économiques se font surtout au niveau des Etats (states), pas au niveau fédéral. Il faudra analyser comment chacun des 50 états pourrait contribuer à l’essor économique mutuel des deux pays, et établir une stratégie pour chaque Etat américain.
La Tunisie a besoin d’un pouvoir d’influence aux Etats Unis. Pour cela, la manière la plus efficace et la moins coûteuse est de s’appuyer sur la diaspora tunisienne professionnelle résidante aux Etats Unis car elle bénéficie d’une compréhension unique des enjeux et des possibilités à même d’accélérer ce processus d’influence. Elle peut également être opérationnelle immédiatement, et assurer le suivi de manière constante. Nous allons, à TAYP, nous appuyer sur notre réseau de professionnels Tunisiens aux Etats-unis, et nos contacts patiemment établis depuis des années, pour renforcer cette mission. Nous souhaitons l’institutionnaliser en y ralliant tous ceux qui sont concernés par les relations Tuniso-américaines, aux Etats Unis (American Tunisian Association, Tuness, Tunisian Community Center..) et en Tunisie (Tunisian American Chamber of Commerce, Tunisian American Friendship Association..) ainsi que toute autre institution académique ou professionnelle intéressée à collaborer dans cette action. Nous, Tunisiens de la diaspora et du secteur privé, pouvons préparer le terrain et faire en sorte que toutes les visites des secteurs public et privé dans les deux sens soient productives et pérennes, et qu’elles se matérialisent par des projets concrets.
Malgré ses difficultés, la Tunisie a une belle histoire à raconter dont nous sommes tous fiers. Mettons-la davantage en valeur. La Tunisie peut être la coqueluche des nations. Commençons aux Etats Unis, non pas pour couvrir uniquement une audience américaine, mais parce que l’information aux Etats Unis, qu’elle soit véhiculée par les medias ou les think tanks, bénéficie d’une couverture mondiale et d’un rayonnement global. Il faut agir maintenant pour donner suite à la visite historique de notre Président de la République et battre le fer tant qu’il est chaud. La Tunisie a aujourd’hui une opportunité unique d’obtenir des secteurs publics et privés américains une attention qu’elle n’a jamais eue dans le passé. Il faut mettre en œuvre les moyens et notre stratégie maintenant.
Author’s Note: A shorter version of this article was originally published in Leader’s Magazine on May 26, 2015 and can be found here.
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Mohamed Malouche